22 juin 2012

Rwanda: Bilan Mitigé des Juridictions Populaires du Génocide



Alors que le gouvernement rwandais célèbre les vertus des tribunaux populaires gacacas, officiellement clos le 19 juin dernier par le président Paul Kagame, survivants et familles de condamnés dressent un bilan plus que mitigé de cette "justice du gazon".
"Moi, je ne sais toujours pas où le corps de mon mari a été jeté. Au début du génocide, notre domicile a été attaqué par une bande de jeunes gens armés d'arcs et de flèches. Chacun a fui de son côté. J'ai survécu, cachée avec d'autres Tutsi, dans un marais, mais lui, je ne l'ai plus revu", raconte Madeleine Umuhoza, 45 ans. Comme tous les rescapés sans traces des leurs dont ils savent uniquement qu'ils ne sont plus de ce monde, cette veuve de Gatsata, à Kigali, traîne avec elle "ce sentiment de culpabilité". "Je m'en veux de ne pas pouvoir lui dire au revoir", confie-t-elle, essayant de retenir ses larmes.
Le début des travaux des tribunaux gacacas en 2001 avait suscité, chez certains survivants, l'espoir de retrouver les restes de ceux qu'ils aimaient pour pouvoir enfin leur offrir une sépulture digne d'un être humain. Ce système de juridiction dont la page vient d'être tournée reposait en effet sur les aveux des coupables. Le législateur rwandais avait espéré convaincre les auteurs de passer aux aveux en leur offrant, en échange, de substantielles réductions de peine. Les accusés passés aux aveux devaient reconnaître leurs crimes, nommer leurs complices et montrer les endroits où ils ont jeté les corps. Mais certaines langues ne se sont pas déliées.
Madame Donatilla Mukantaganzwa qui était secrétaire générale du Service national des juridictions gacacas (SNLG) a dénoncé "ce silence" du début à la fin du processus. C'est, selon elle, l'une des principales difficultés auxquelles se sont heurtées ces juridictions, dont le pays attendait "la manifestation de la vérité".
Justice sans dédommagement
Léonilla Nyiransabimana, a pu, quant à elle, retrouver, dès avant les gacacas, les corps de ses parents et de ses deux frères. Mais elle vit aujourd'hui dans la misère alors que son père possédait maison et voiture, ce qu'il fallait pour être considéré comme un homme aisé, à Kigali, en 1994. "La maison a été rasée, portes, vitres et tôles ont été emportées. La voiture, je n'en ai aucune nouvelle. Grâce à l'aide du gouvernement, j'ai pu reconstruire un gîete sur les ruines. Mais j'y meurs de faim ou presque. Les personnes condamnées pour la destruction des biens de ma famille ne possèdent rien. Ils n'ont que leurs demandes de pardon. Que deviendrai-je ?".
Ils sont très nombreux, les rescapés logés à la même enseigne que Léonilla. L'indigence des pilleurs et des destructeurs complique la restitution ou le paiement de la contre- valeur prévus par la loi sur les gacacas pour des infractions contre les biens. Pire encore, la loi organique sur les gacacas, en dépit de ses nombreuses modifications, n'a prévu aucun mécanisme de réparation des dommages moraux et physiques.
Dérives
Observateurs assidus du processus, Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International ont pour leur part souvent dénoncé des vices de procédure, des menaces, de la corruption, l'ingérence des autorités, etc. Récemment, ce sont deux organisations non-gouvernementales britanniques, Redress et Survivors Fund (SURF), qui ont mis en exergue cette lacune dans un communiqué conjoint publié à la veille de la cérémonie de clôture. "Beaucoup de survivants pensent que justice n'a pas été rendue puisque le processus (gacaca) n'a pas inclus de réparation adéquate", écrivaient les deux organisations basées à Londres. "Bien qu'il soit impossible de trouver une pleine compensation pour des crimes comme le génocide, allouer des réparations financières pourrait aider à restaurer la dignité des survivants, en reconnaissant ainsi les souffrances qu'ils ont endurées", estimaient-elles. Les deux ONG recommandaient au gouvernement de mettre en place une "commission sur les réparations, maintenant que les gacacas sont en train de fermer".
Rancunes
Le système est aussi critiqué du côté des personnes jugées et leurs familles. Il y a certes eu, sur le million ayant défilé devant les gacacas, un taux d'acquittement de l'ordre de 40 %. Mais chez de nombreuses familles de condamnés, les gacacas ont cristallisé des rancunes dangereuses.
"Mon mari a été accusé de tout : réunions de planification, meurtres et pillages. Mais tout le monde dans ce village sait qu'il est innocent. Même les criminels qui sont allés témoigner contre lui, affirmant qu'il était leur meneur, même les rescapés qui ont acheté ces faux témoins. Leur objectif c'était de faire vendre aux enchères nos biens. Ils chantent et dansent aujourd'hui. Mais Dieu est grand !", se lamente Nyiraneza (pseudonyme), son inséparable rosaire en mains.
"Moi, j'aurais souhaité que les gacacas n'aient jamais existé. Mon père a été accusé par des envieux, Hutu comme Tutsi, parce qu'il venait d'obtenir un poste important au sein de l'administration. C'était juste au début des procès. Je l'avais mis en garde mais il m'a répondu que c'était son droit de briguer le poste", lance Cyrille, étudiant en polytechnique. Ce jeune homme est de ceux qui affirment que les gacacas laissent plutôt "un Rwanda plus divisé qu'avant".

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