Jean-Louis Roy, écrivain-journaliste québécois et ancien secrétaire général de la Francophonie (ex Acct), a présenté, la semaine dernière à Dakar, son ouvrage « Ma rencontre avec un continent : Ecrits sur l'Afrique 1971-2011 ». Un livre de plus de 600 pages d'analyses politiques, d'entretiens avec des médias, de récits historiques et de poésie. Au cours de la dédicace, l'homme politique, de culture et diplomate est revenu sur sa rencontre avec le continent africain et le Sénégal.
Rencontre avec l'Afrique
« L'information qui circule en Afrique est telle que tous les Africains devraient être morts. Certaines maladies aurait dû créer le vide. Ce qui m'est arrivé est inexplicable. Je viens d'un petit pays qui s'appelle le Québec, où on était isolé pendant très longtemps. En 1960, 85 % des enfants âgés de 14 ans n'étaient pas encore à l'école. Je viens d'un bout du continent de l'Amérique du Nord où on était en termes de développement dans une situation extrêmement précaire. Je fais partie de la première génération de ma famille à avoir été scolarisé ; la première personne de ma famille à avoir traversé les océans. Je viens d'une certaine manière de la tradition orale. J'ai commencé à fréquenter le continent à partir de 1985 et davantage en 1990. J'ai l'impression d'être, d'une certaine manière, chez moi (en Afrique, ndlr). Il m'est arrivé en parcourant le continent africain de me dire qu'il y a de vraies convergences entre le Québec et l'Afrique. Dans les années 90, on était au Sénégal avec une régularité extraordinaire pour des raisons simples : la Conférence islamique était prévue à Dakar de même que le sommet de la Francophonie ainsi que de l'Union africaine. »
Choix du titre de l'ouvrage
« La rencontre c'est dans la catégorie de l'approfondissement, de l'altérité et dans la durée. La découverte, c'est un peu le fruit du hasard. Cela peut être abandonné, vidé de son contenu. La découverte ne crée pas forcément un lien. Alors que la rencontre crée un lien à tout jamais. »
Une longue expérience africaine
« Ce livre est un ouvrage sur l'histoire de l'Afrique, et pas n'importe quelle histoire. Si vous lisez les passages qui font référence à Kankan Moussa, vous allez voir le travail extraordinaire que mes amis du Maroc et ailleurs m'ont aidé à faire pour dégager, de la manière la plus juste, l'état de la technologie du temps en 1340, en termes de transports maritime, terrestre, en communication, en médecine publique, etc. L'Afrique souveraine, celle avant l'esclavage, la colonisation. D'où vient l'Afrique ? L'Afrique a été exclue pendant quatre siècles. Les gens disent qu'il ne faut pas parler de cela car c'est terminer. C'est comme c'était dans les Amériques avec les autochtones, on dit que c'est une erreur, alors qu'il y a des milliers d'autochtones qui souffrent. L'esclavage est à l'image de la Shoah. C'est un drame historique parce qu'on a voulu exclure une race de l'histoire de l'Humanité. Pourquoi fait-on semblant que ce n'est pas cela ? C'est bien cela. On ne peut pas l'oublier. Et comme le disait Léopold Sédar Senghor, la mémoire est irréductible dans certains moments de la vie de l'Humanité ».
L'avenir de la Francophonie
« Ma responsabilité était de soumettre des propositions aux chefs d'Etats, aux chefs de gouvernement et aux responsables de la Francophonie ; des positions convenables pour tous. Et ce n'était pas compliqué. Par exemple, leur dire quelle position était convenable pour les pays francophones sur le développement durable, sur la crise du pétrole, l'ajustement structurel, etc. Il y a tout dans la Francophonie. Il fallait donc se poser la question de savoir ce que les Africains, les Européens, etc., pensent de cela. On a fait des contributions fortes à la Cinémathèque de Ouagadougou contre la volonté des grands Etats. Dans la Francophonie, il y a des batailles, des points de vue, des choix budgétaires, politiques, des programmes, etc.
« Le Sénégal est un pays plus grand que lui-même »
« Le Sénégal est un pays plus grand que lui-même. C'est pourquoi, je suis heureux d'être ici. Dans mon itinéraire, j'ai rencontré en permanence des Sénégalais très loyaux, très compétents. J'ai rencontré des Sénégalais sur ma route. Amadou Mahtar Mbow est le premier esprit, dans la deuxième moitié du 20e siècle, à suggérer le renouvellement de la nature de la communication mondiale. On l'a presque viré de l'Unesco pour cela. Il a eu raison sur tout le monde. Ibrahima Fall a présidé la Conférence de Vienne, et ce n'était pas simple. Tenir le monde entier, les 182 pays autour des droits de l'Homme, en 1994, n'était pas simple. On est sorti de Vienne avec une déclaration et un plan d'actions qui portent sa signature et qui inspirent ceux qui travaillent en matière des droits de l'Homme. Abdou Diouf s'est aussi battu sur la question de la diversité culturelle. Et le jour où il a convaincu le directeur de l'Unesco de réunir les ambassadeurs des pays membres de la Francophonie, des pays de la Ligue arabe, etc., sur la question de la diversité culturelle, il y avait 85 % des pays membres des Nations-Unies. Et ce jour-là, les gens se sont rendu compte que cette question relevait d'une volonté publique très large. Vous me permettrez aussi de saluer le travail diplomatique considérable de Moustapha Niasse, un grand Sénégalais. Il a fait un travail extrêmement important au moment où il fut ministre des Affaires étrangères du Sénégal.
La contribution du Sénégal à la littérature et à la culture est extraordinaire, en atteste ce qui se trouve au Village des Arts de Dakar. L'intelligence, la sensibilité, etc. Et quand on regarde vos peintres, on sait pourquoi on est devenu pauvre. Et on sait pourquoi on aimerait être un peu plus riche. C'est le président Senghor qui a traversé cet horizon si vaste. Je ne crois pas que ces choses arrivent au hasard. Je crois que quelqu'un a éclairé l'espace qui est le vôtre. Et on espère pour autant que cette lumière continuera à éclairer cet espace-là. Le Sénégal est un pays étonnant dans sa profondeur, dans l'histoire. S'il y a une chose à laquelle je me suis attaché dans ce livre, c'est que nous ne sommes rien intellectuellement, politiquement et culturellement, si nous n'avons pas une idée de la présence de la longueur du temps. Voilà d'où vient cette perspective sénégalaise qui fait que le Sénégal est plus grand que lui-même. La longueur du temps nous fait mettre de côté beaucoup de broutilles. »
L'avenir du continent africain dans les relations internationales
« En vérité, il n'y a personne qui sait quel sera son avenir. La zone occidentale qui a dominé le monde pendant quatre siècles se trouve dans une crise extra-profonde. Aujourd'hui, tout le monde est obligé de se repositionner. Les vieilles catégories nord-sud, coloniales, postcoloniales sont en train de s'effacer. Il y a des choses énormes qui nous arrivent. On a été contemporain de la fin de la colonisation dans les années 60. On a vu disparaître la grande bataille du 20e siècle entre l'Est et l'Ouest par l'effondrement incroyable de l'Union soviétique sans une perte de vie humaine. C'est extraordinaire. Le 20e siècle a structuré la vie de l'Humanité sur tous les plans.
Aujourd'hui, nous sommes entrés dans un temps favorable à l'Afrique, où personne ne peut imposer quoi que soit à quiconque. Je trouve qu'on va reconstruire quelque chose. Quand la Chine dit : « Il faudra que la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international (Fmi) soit en Asie », parce que les 60 % de la population du monde se trouve là-bas. Il y a des fissures dans le système international. Je crois qu'on entre dans un temps où on peut recréer une communauté internationale convenable, où toutes les ressources seront requises. Dans cette négociation, qui peut durer beaucoup d'années, je considère que l'Afrique dispose d'une position stratégique extraordinaire pour trois raisons. Le monde a besoin des ressources humaines de l'Afrique. La deuxième raison est que dans trente ans, le quart de l'Humanité va vivre sur le continent africain. Le continent africain sera la région la plus jeune du monde, alors que partout dans le monde, on aura besoin de la ressource humaine. L'Afrique sera dans une position de négociation comme tous les autres continents.
Mais elle aura une position qu'elle n'a jamais pu avoir depuis quatre siècles. Comment organiser cette négociation ? Comment y participer ? Comment les Africains vont-ils définir leurs intérêts ? Ces intérêts ne doivent pas être définis par les Américains ni par les Canadiens encore moins par les Européens. Ça sera un énorme défi pour l'Afrique. »
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